chants des enfants des cités de Poitiers

Tony LainéUn projet modeste (et donc précieux) réalisé cette année par Nicolas Brasart, dumiste au groupe scolaire Tony Lainé à Poitiers. Quelques chansons que j’ai écrites sur des poèmes d’Anne Portugal, chantées et jouées avec le concours de François Corneloup (sax. bar.), Josselin Arhiman (piano) et Eric Groleau (batt.)., par des enfants n’ayant jamais, pour la plupart, pratiqué chant ou musique.

Voici ce qu’en dit, après-coup, Nicolas :

Cet après-midi, j’ai montré aux élèves de Tony Lainé (trois projections successives) le dvd du concert du 10 juin, Place de France.
Ils se sont regardés et se sont entendus pour la première fois. Ils se sont jugés honnêtement (on articule pas assez, là c’est bizarre — le canon de “importateur de haies” — on crie et on chante pas — “Emilie” — on fait des grimaces) et je leur ai dit qu’ils avaient réussi quelque chose de difficile (mémoriser pas mal de musique et de texte, travailler avec régularité, se concentrer, écouter). Ils ont mieux compris le rôle de chaque musicien, ils ont réalisé la place qu’ils tenaient. Les enseignants me disent que les élèves ont aussi beaucoup reçu sur un autre plan : ils ont une bien meilleure image d’eux-même, ils se dévalorisent moins et parlent mieux d’eux-même depuis le concert.
Dans une des trois classes, une petite Delphine s’est levée pour chanter “Un voleur” a capella : une voix magnifique, juste et fragile, un phrasé délicat, sensible. On est tous resté silencieux à la fin. Pas d’enregistrement, je n’ai pas osé sortir mon téléphone pour ne pas rompre le charme.
Voilà une des mille façons qu’a eu ce concert de modifier le cours de vies que d’autres voudraient écrire à leur place, dans le béton et l’oubli de soi.

Nicolas Brasart

Voilà. C’est pas grand-chose, et c’est formidable. On espère que quelques-uns en retrouveront quelque chose, plus tard, un jour, qui les fera surplomber avec élégance les pauvres idées de notre personnel politique actuel pour lequel l’art ne semble pouvoir s’envisager que sous l’angle des industries culturelles.

l'improvisation, poubelle de la musique

p6270002L’improvisation musicale est sans doute devenue excessivement irrévérencieuse, elle aussi, pour la radio de service public. C’est — presque — une bonne nouvelle. La mauvaise, la voici : à la rentrée, l’émission d’Anne Montaron “ A l’improviste” se verra réduite à la portion congrue. Et les captations de concerts publics à Radio France, essentiels, passent  de 20 à 6 (l’émission — et ses concerts/captations — était pourtant devenue un diffuseur, voire un prescripteur incontournable de ces musiques). Des arguments invoqués, on retiendra par exemple celui d’une “scène musicale trop étroite”. Et on rappellera que, bien au-delà du jazz, ce qui est à considérer comme un mode de production, d’invention de la musique, parmi d’autres, est présent dans bon nombre de musiques traditionnelles, intégré depuis les années 60 à certaines œuvres contemporaines, et réinvesti aujourd’hui par des interprètes de musique ancienne. L’intérêt pour la pratique de l’improvisation se mesure également dans les conservatoires, où une nouvelle génération de professeurs d’instrument nous demande de plus en plus d’intervenir, en regard et en complément de leur propre pratique. On rappellera également que le CNSMP, dont Marc-Olivier Dupin fut le directeur, compte pas moins de 3 classes d’improvisation en plus des classes de jazz…

Voici l’annonce de la dernière d'”A l’improviste”, reçue jeudi 25 juin :

A l’Improviste, dernière !

par Anne Montaron, avec Béatrice Trichet et Dorothée Goll

A la rentrée 2010, « A l’Improviste » vole en éclats ; réduite de moitié mais hebdomadaire , l’émission proprement dite refermera « les Lundis de la Contemporaine » d’Arnaud Merlin (23h30)

6 concerts seulement seront produits par Radio France dans nos studios au lieu des 20 actuels

La matière première de l’émission sera constituée par les concerts enregistrés hors les murs (Festivals et autres…)

En bonus …deux autres espaces de diffusion ponctuels : deux ou trois « Nuits » et quelques concerts de 20h !

Une lettre de demande de concertation conçue parun collectif de musiciens a été envoyée à la direction, mais n’a pas reçu de réponse favorable.

Un grand merci pour toutes vos signatures et votre soutien !

Bien à vous

Anne

Et on reproduit la lettre adressée au directeur de France Musique (merci à Benoit Delbecq et Mirtha Pozzi pour la rédaction et la circulation de ce texte), puis la réponse de la direction de France Musique, dans laquelle on pointera une erreur : M.O. Dupin n’a pas rendu cette émission hebdomadaire, elle l’était déjà. A part ça, on est convaincu que supprimer une émission, raccourcir le temps d’antenne, réduire le nombre de concerts publics, c’est bien entendu soutenir ardemment une expression musicale essentielle… Derrière cette décision, comment ne pas voir l’affichage (enfin possible, en ces temps décomplexés) du mépris de la direction pour la pratique (pourtant difficile) de l’improvisation, et des expressions musicales non-consensuelles. Mais c’est sans doute bien là l’objectif, sur l’ensemble des antennes de Radio France : faire consensus.

A Monsieur Marc-Olivier Dupin – Directeur de France Musique

« Le free, une poubelle du jazz ? Une très belle poubelle, alors. » György Ligeti à Jazz Magazine, février 2008.

Paris, le 18 Juin 2010.

Cher Monsieur le Directeur, cher confrère,

C’est avec une immense tristesse et une non moins grande interrogation que nous apprenons la disparition programmée de la production et retransmission de concerts de musiques improvisées proposées dans « A l’improviste » par Anne Montaron, productrice dont la passion et le talent à transmettre cet art brillent sur les ondes hertziennes et numériques de France Musique.

Nous sommes nombreux à penser que ce rendez-vous de concert public et radiophonique honore  France Musique et participe à l’ influence de la chaîne sur la scène musicale nationale et internationale.

Ce rendez-vous de musique vivante symbolise pour nous ce que la magie radiophonique sait procurer à ses auditeurs curieux de sensations musicales inédites, savantes mais aussi ludiques et esthétiquement exigeantes. C’est l’idée d’une radio convoquant l’inédit et l’ouverture d’esprit, comme en un délicat écho aux heureux moments de radio du Club d’Essai de Jean Tardieu, et tant d’autres heures d’un éclairant rayonnement éditorial au sens large, qui est aujourd’hui menacée par votre décision.  Ce sont aussi les archives de demain qui se voient menacées de ne plus témoigner d’une veine créative et souvent indocile d’une partie de la musique jouée et appréciée aujourd’hui de par le monde dans des centaines de lieux et festivals internationaux tels ceux de Vancouver, Vandœuvre, en passant par San Francisco, Tampere ou encore Yokohama.

Car depuis que l’émission « A l’improviste » est proposée en écoute sur le site de France Musique, et alors qu’aujourd’hui le podcast permet d’écouter avec bonheur les émissions passées et ce à l’échelle planétaire, la magie du direct se retrouve prolongée en l’écoute différée rendue enfin possible. Dès lors il nous est d’autant plus aisé d’inviter nos connaissances, nos collègues et amis de par le monde, à découvrir telle ou telle formation dans le jeu du concert, tel ou tel portrait d’improvisateur –  le « direct » restant bien sûr le vecteur d’une émotion toute particulière parce qu’unique et profondément humaine.

Souvent remise en question par une certaine élite pour le moins sceptique alors même que l’improvisation est de fait impliquée elle aussi dans le processus décisionnel de l’écriture,  la pratique de la musique improvisée permet pourtant souvent de faire entendre les beautés de l’intuition fugitive : d’inédites formes sensibles, de nouveaux possibles de jeux instrumentaux, de nouveaux modes de jeux collectifs, lesquels sont vous le savez suivis voire recyclés par nombre de compositeurs d’aujourd’hui. Ce va-et-vient vivifiant entre improvisation et écriture est un engrais sensoriel, esthétique et intellectuel de la plus haute importance. Nous priver de l’émission « A l’improviste » reviendrait à couper ce fil invisible liant des êtres avides d’émois musicaux, ce qui revient à cesser de restituer sur les ondes tout un pan de la vie musicale d’aujourd’hui.

Vous le devinerez, nombre d’entre nous doivent leur vocation créatrice à ce que la radio de service public a su produire et diffuser en ses murs et en extérieur. Puisse la jeune génération d’auditeurs  garder  cette ouverture d’esprit et devenir les inventifs compositeurs et improvisateurs que nous écouterons demain avec passion.

Nous tenons tant à cette émission que aimerions venir vous en parler, à quelques-uns, le plus tôt possible, venir vous témoigner de cette impossibilité viscérale à faire le deuil de cette émission que nous chérissons. Nous vous invitons à nous répondre en ce sens, et vous en remercions à l’avance.

Dans l’attente de vous rencontrer, avec nos sincères salutations,

Des improvisateurs et compositeurs réunis.

****

Chère Madame, Cher Monsieur,

J‘ai pris connaissance de votre mail avec la plus grande attention et vous confirme que notre décision est prise d’arrêter l’émission à l’improviste dans sa formule actuelle. Après dix ans d’existence, il ne nous a pas semblé anormal de faire évoluer cette émission.

Pour autant, je tiens à préciser que l’improvisation conservera toute sa place dans les programmes de France musique à la rentrée. Nous avons même souhaité intégrer le rendez-vous d’Anne Montaron dans la grande soirée “les lundis de la Contemporaine”, ce qui devrait lui assurer davantage de visibilité et une meilleure exposition, tout en sélectionnant le meilleur de l’improvisation. L’improvisation, comme c’est le cas actuellement, trouvera également sa place dans certaines émissions de jazz, ou d’autres consacrées aux musiques actuelles.

Nous continuerons bien évidemment à enregistrer des concerts de musique improvisée, aussi bien à Paris qu’en région, dans les festivals, qui pourront également être diffusés dans des tranches concerts ou dans des nuits spéciales consacrées à l’improvisation.

Enfin, permettez-moi de rappeler que Marc-Olivier Dupin, directeur du CNSMDP dans les années 90, a été le premier à ce poste à créer un diplôme de formation supérieure d’improvisation, et qu’une de ses premières décisions, à la tête de France Musique, a été de transformer dès la rentrée 2008 ce rendez-vous bimensuel en rendez-vous hebdomadaire.

Espérant vous avoir rassuré sur nos intentions et sur la place de l’improvisation sur notre chaîne, je vous prie de croire à l’assurance de nos sentiments les meilleurs.

Olivier Morel-Maroger
Directeur délégué de France Musique
chargé de la production et du développement

Pour écouter ou visionner les émissions et concerts, 2 liens :

Le site d'”A l’improviste”.

Les vidéos de l’émission sur Dailymotion.

Poitiers – 16/06/10 – Cap Sud – Dominique Pifarély et Dédales – France

inactuels

châteaufortOuvrez les territoires et vous verrez baisser les tensions critiques des uns et des autres. Le jugement esthétique est profondément irrigué par la vue de sa propre condition. Ou alors : sa propre condition nourrit le jugement esthétique. C’est comme l’on veut. En d’autres termes : les autres ne m’empêchent pas de vivre tant qu’ils ne m’empêchent pas de vivre. (Philippe Manoury)


On en parlait récemment, avec Benoit Delbecq ou Marc Ducret, de ces lieux, pas forcément prestigieux, mais propices au travail, qui permettent un répit pour penser, écrire, composer : pas grand chose pour nous, siglés musique improvisée (oui, mais pas que), jazz (voire)… Rien comme la Villa Médicis, par exemple. On prendrait bien plus modeste, si ça existait.

Je me souviens de discussions récentes avec François Corneloup, sur la nécessité de ne pas tomber dans le piège de la division et de la mise en concurrence, de l’individualisme enfin, piège armé avec brio par le pouvoir sarkosiste.

Je me souviens de ces vitupérations des musiciens de jazz, furieux, trop d’argent pour Boulez et l’Ircam, disaient-ils. Je m’insurgeais, ne voulant pas déshabiller Pierre.

Plus loin : je me souviens de mon professeur d’harmonie-contrepoint et d’analyse, Philippe Drogoz, ex-pensionnaire de la Villa Médicis, qui m’a fait découvrir Monk et l’Art Ensemble of Chicago en même temps que la musique contemporaine sous toutes ses formes, puis emmené sur les chemins du théâtre musical (et de son remplaçant, Philippe Manoury, une analyse des variations pour piano de Webern).

Plus près, de multiples passerelles, Marc Ducret invité par Marc Monnet ou Jérome Combier, Wolfgang Mitterer (un des grands improvisateurs de la scène autrichienne) donnant récemment son opéra à Strasbourg/Musica et la Cité de la Musique, l’ensemble Ars Nova les multipliant, ces passerelles (tout dernièrement avec Franck Vigroux). Fabrizio Cassol artiste en résidence à La Monnaie (oui, pas en France, c’est vrai). Ou Bruno Chevillon, invité à jouer à la Villa avec l’un de ses pensionnaires, Samuel Sighicelli. Je croyais voir un lien entre mes apprentissages, mes goûts, mes élans, mes expériences, et mon travail, ma pratique.

Au lieu de quoi, une pétition, mettant en cause deux artistes nommés à la Villa Médicis, m’apprend, par contiguïté de pratique avec l’un d’eux, Malik Mezzadri (nommé avec Gilbert Nouno pour un projet non sans lien avec celui de Samuel Sighicelli et Bruno Chevillon), que nous faisons des musiques populaires, touchons un public nombreux, sommes promotionnés, soutenus, et avons un pied dans l’industrie musicale (Et Michel Portal, Jean-Paul Celea, Joëlle Léandre, désavoueraient-ils Malik ?). Nous renvoyant par la même occasion à des catégories institutionnelles ou commerciales auxquelles nous n’appartenons certes pas, inactuels que nous sommes, et qui sont même les freins principaux à la diffusion de nos musiques. Devinez quoi, par les temps qui courent, ça ne me fait pas rire de lire ça.

Alors, pour dire à ceux, nombreux, que je reconnais dans les signataires, et pour lesquels j’ai de l’estime, qu’ils se trompent de cible, de revendication, et qu’apprendre à connaitre le travail de l’autre, ses problèmes, ainsi qu’à ouvrir les territoires, aide à vivre et à tracer les routes, cette lettre à laquelle je m’associe, espérant que cet épisode sera le plus bref possible.

Merci à Benjamin Renaud, tache-aveugle.net.

28/06/2010 : plein de commentaires, un débat vif, des mises au point, on pourra par exemple consulter ce commentaire à un article de l’Huma…

Lire aussi sur tiers-livre.

Et ici la pétition maladroite en question…

formes numériques | 1

Michele Rabbia, percussions, laptop, et Dominique Pifarély, violon, laptop

Du 17 au 21 mai, expérimentations, répétitions, et 1er concert avec présence numérique. Présence, car c’est vraiment expérience singulière que de travailler avec l’ordinateur dont on a établi le champ d’action, mais laissé au hasard la nature des interventions. Vraie interaction, donc, entre la matière jouée, qui alimente les processus de transformation ou de synthèse du son numérique, et celui-ci, qui oriente ce qu’on joue. Chacun utilise son propre jeu, tout en jouant à la fois avec l’autre et son double, ou transforme le jeu de l’autre, à n’en plus savoir quel son est produit par qui. Travail encore à venir, excitant, de devoir trouver d’autres pistes instrumentales, d’autres réflexes. Tenir sa place (la présence), aussi, à côté de la machine. Et puis l’impatience de confronter tout ça à la voix de François Bon et celle des images de Philippe de Jonckherre.

Bref, ça ouvre tellement de questions passionnantes, auxquelles on se confrontera en décembre prochain : Formes d’une guerre.

Remerciements aux habitants du Hameau de la Brousse, Hélène et Michel en particulier, ainsi qu’à Baptiste et Matthieu au studio du Hameau.

A écouter au casque, ou sur de bonnes enceintes, de préférence… :