New album on Jazzdor series :
released on August, 20th 2021
Création en 2018
- Dominique Pifarély : violon, composition
- Valentin Ceccaldi, Bruno Ducret : violoncelle
- Sylvaine Hélary : flûtes
- Matthieu Metzger : saxophones soprano et alto
- François Corneloup : saxophone baryton
- Antonin Rayon : piano, synthétiseur moog
- François Merville : batterie
Cette formation de Dominique Pifarély prolonge le travail orchestral mené de 2005 à 2015 avec l’ensemble Dédales. Dans un format resserré mais aux potentialités explosives, c’est un nouveau programme, dans lequel se croisent compagnons repérés (François Corneloup, François Merville, Antonin Rayon) et figures nouvelles (Sylvaine Hélary, Matthieu Metzger, Valentin Ceccaldi).
This Dominique Pifarély unit extends the orchestral work he carried out with his Ensemble Dédales. In a constricted format but with explosive potentialities, he delivers a new program, in which meet identified companions (François Corneloup, François Merville, Antonin Rayon) and new figures (Sylvaine Hélary, Matthieu Metzger, Valentin Ceccaldi).
“L’anabase, c’est la remontée de la mer vers les terres (…) et la sortie d’exil. Cette montée est aussi un retour, qui paradoxalement s’effectue dans l’avenir.”
Martine Broda, “Dans la main de personne, essai sur Paul Celan”
Après un travail, il y a 15 ans, sur des poèmes de Paul Celan (pour choeur de chambre, 2 récitants et 6 musiciens-improvisateurs), les textes fournissent aujourd’hui une trame invisible (au sens propre : rythme, prosodie, espace, forme) qui guide cette utopie d’un retour dans l’avenir.
Suite : Anabasis est donc un acte musical à la fois engagé et rêveur, formel et sensible, avec en toile de fond un questionnement qui porte sur l’exil, le déplacement, la fuite, la quête, mais aussi l’exil de soi et le retour vers soi et vers l’autre, et quelques intuitions contemporaines.
DP
Après la création à l’Europajazz Festival (Le Mans, La Fonderie, 5 mai 2018, 17h) :
“Après une avant première à l’Ajmi d’Avignon, c’est la création de cette nouvelle musique. Comme souvent chez Dominique Pifarély, la première impulsion créatrice est d’origine littéraire : Anabase, un poème de Paul Celan, un auteur qui a déjà suscité chez le violoniste plusieurs compositions, et donne lieu cette fois à une suite. L’enjeu est d’importance pour le musicien : il a rassemblé un groupe où chacun représente une sorte d’idéal, comme interprète et improvisateur. La pièce est assez longue, elle s’est étoffée de nouveaux développements depuis son avant-première, mais l’attention du public est totale, du début jusqu’à la toute fin. On part d’une seule note, obstinément rejouée par le piano, adagio, jusqu’à l’entrée du sax baryton, bientôt rejoint par les autres instruments. Dès lors il semble évident que vont se mêler l’esprit de la musique de chambre contemporaine et les rythmes anguleux d’un jazz qui n’est pas moins contemporain, dans un spectre large qui s’étendrait des phrases policées de l’écriture ‘savante’ jusqu’aux écarts des musiques improvisées les plus radicales. C’est ensuite une mélodie lyrique, aux intervalles distendues (la mémoire de l’ange n’est pas très loin….), et le rythme s’affirme et l’ensemble dérive vers les abords interlopes du jazz, avec un tutti libre et délibérément divergent. […] Il serait vain, et fastidieux, de vouloir décrire par le menu le cheminement de cette longue pièce, grande forme (forme ouverte pourrait-on dire, sans formalisme), avec ses glissements et ses surprises. […] Ce qu’on retient, c’est l’extrême cohérence du cheminement, la très grande qualité des solistes (le violoniste inclus !), dans l’exécution comme dans l’improvisation, et cette oscillation permanente entre les langages que tous les membres du groupe ont en commun, de l’écrit le plus rigoureux jusqu’à l’improvisation la plus libre, presque un manifeste qui nous dirait : nous jouons ce que nous sommes. J’en veux pour preuve le mouvement final, sorte de groove dansant (mais très élaboré) qui respire la liberté d’être, et se fond dans une coda chambriste qui va s’éteindre avec le retour, furtif, de la note obstinée qui ouvrait le concert. Il y a bien là une œuvre accomplie, libre et cohérente, belle réussite qui sera reprise les 25 & 26 mai, à Paris, à l’Atelier du plateau, puis en septembre à Marseille (festival ‘Les Émouvantes’) et en novembre à Strasbourg (festival Jazzdor). Avis aux mélomanes sans œillères.”
Xavier Prévost / JazzMagazine, lundi 7 mai 2018
“Anabasis is the rise of the sea to the land (…) and the release from exile. This rise is also a return, which paradoxically takes place in the future. “
Martine Broda, “Dans la main de personne, essai sur Paul Celan »
After a work, 15 years ago, on poems by Paul Celan (for chamber choir, 2 reciters and 6 improvisers), the texts now provide an invisible framework (rhythm, prosody, space, form) that guides this utopia of a return to the future.
Suite : Anabasis is therefore a musical act that is both an engaged dream, formal and sensitive, with the backdrop of a questioning about exile, displacement, flight, quest, but also exile of oneself and the return to oneself and the other, and some contemporary intuitions.
DP
After the premiere at the Europajazz Festival (Le Mans, La Fonderie, May 5, 2018, 17h) :
“After a preview in Avignon, it was the real premiere of this new music. As is often the case with Dominique Pifarély, the first creative impulse comes from literature : Anabase, a poem by Paul Celan, an author who has already given rise to several compositions by the violinist, and this time gives rise to a sequel. The issue is quite important to the musician : he has gathered a group where each one represents a kind of ideal, as interpreter and improviser. The piece is quite long, it has expanded new developments since its premiere, but the attention of the public is total, from the beginning until the very end. We start from a single note, stubbornly replayed by the piano, adagio, until the entry of the baritone sax, soon joined by the other instruments. From then on, it seems obvious that the spirit of contemporary chamber music will be mixed with the angular rhythms of a jazz that is no less contemporary, in a broad spectrum that extends from the polite phrases of classical writing to the gaps of the most radical improvised music. Then comes a lyrical melody, with distended intervals (the memory of the angel is not very far ….), And the rhythm asserts itself and the whole one drifts towards the interlops of jazz, with a free tutti and deliberately diverge. […] It would be futile, and tedious, to try to describe in detail the path of this long piece, great form (we could say, without formalism, open form), with its landslides and surprises. […] What we remember is the extreme coherence of the process, the very high quality of the soloists (including the violinist !), in the performance as well as in the improvisation, and this permanent oscillation between the languages that all the members of the group have in common, from the most rigorous writing to the freest improvisation, almost a manifesto that would tell us : we play what we are. I could just give this example : the final movement, a kind of dancing (but very elaborate) groove that breathes the freedom of being, and blends into a chamber music coda that will go out with the stealthy return of the stubborn note that opened the concert. This is an accomplished, free and coherent work, a great success that will be repeated on May 25 & 26, in Paris, at the Atelier du Plateau, then in September in Marseille (festival ‘Les Emouvantes’) and in November in Strasbourg (Jazzdor festival). Notice to music lovers without blinkers. “
Xavier Prévost / JazzMagazine, 7 mai 2018
Pifarély septet : musique et poésie
Créé voici moins d’un an à l’Europa Jazz, ce septet se place dans la continuité du travail mené avec l’Ensemble Dédales depuis au moins dix ans. Soit une formation de musiciens improvisateurs audacieux capables de tenir un pupitre et de lui donner la vitalité nécessaire à son expressivité. Au fil des ans, l’écriture de Dominique Pifarély ne cesse de dessiner, avec un savoir-faire maîtrisé, une ligne narrative claire à laquelle l’organique d’un orchestre donne toute sa chair.
Inspirée de Anabase du poète roumain Paul Celan, cette suite, jouée quasiment d’un seul tenant, propose ce qu’on pourrait nommer une scénographie du son. En mettant en notes la grammaire du poème, sa prosodie, sa forme, sa mise en espace, elle déploie une architecture vaste où de multiples tableaux s’enchâssent de façon réfléchie dans une logique contrastée mais fluide. Par une succession de tensions et de relâchements, de vides et de déliés, de temps suspendu et d’éclatement, la narration s’approprie l’oreille de l’auditeur sans autoritarisme mais de manière inéluctable. Cette progression, magnifique de créativité, rappelle au passage que l’une des acceptions du terme anabase est bien, dans la langue grecque, celui de mélodie ascendante.
Car si rien n’est brutalement borné, si les agencements entre les climats paraissent libres, c’est que l’association des instruments entre eux est, elle aussi, en variation permanente. Se rapprochant les uns les autres ou se détachant, ils ne cessent de questionner le rapport au collectif. Leur manière de faire corps avec l’ensemble comme le lyrisme dont ils font preuve dans leurs moments de bravoure participent pleinement à la valorisation de la trame générale.
Dans un premier temps, cordes et soufflants font œuvre commune, entouré d’un piano obnubilé par une seule note et secoué d’une batterie qui les prend en étau. Ce chœur antique éclate ensuite en fragments dissolus. Au fil du concert, des périodes mouvantes, voire franchement mouvementées, se succèdent. Le baryton solide de François Corneloup tient lieu de pilier mobile, soutenu en cela par la batterie coloriste d’un François Merville indispensable dans ses soulignements discrets et sa pulsation subtile. Chaque individualité, en effet, a son rôle à jouer et le choix opéré par Pifarély dans la sélection de son line-up semble l’aboutissement d’une réflexion sur l’adéquation entre un propos et son interprète. Aucun ego ne se dégage ; bien au contraire, tous rejoignent le violoniste dans son sens de la musicalité.
Valentin Ceccaldi tient un solo particulièrement investi, dépouillé de virtuosité tandis que Sylvaine Hélary et Matthieu Metzger complètent les archets par des textures tissées dans les aigus qui donnent douceur et précision à l’ensemble. Mention spéciale toutefois à Antonin Rayon qui, après avoir distribué couleurs et orientation, prend la parole d’une manière tonique. Tout en audace harmonique et rythmique, il déclenche d’ailleurs le sourire satisfait de son leader et nous fait regretter de ne pas le voir plus régulièrement dans des configurations réduites où son talent serait mis en lumière.
Dans son rapport au poème, cette composition est strictement référencée. Dominique Pifarély, qui le travaille depuis de nombreuses années, l’évoque. L’histoire des migrations, les grands voyages forcés, les aventures humaines de ceux condamnés à l’exil font particulièrement écho aujourd’hui. La musique se suffit à elle-même, bien entendu, mais le savoir apporte un surplus de sens qu’il serait dommage de laisser de côté.
Le concert s’achève avec la sensation d’avoir été respecté dans notre sensibilité, accompagné vers le beau, le cœur lavé. Lisons ou relisons Paul Celan, écoutons la musique de Dominique Pifarély. La violence du monde n’en sera pas changée mais le besoin de continuer à œuvrer pour plus d’humanité certainement renouvelé.
Nicolas Dourlhès / Citizen Jazz, le 3 mars 2019