contre l’effroi institutionnel : inventer de nouvelles façons ?

indiscipline

photo : métro Parque, Lisbonne - 1994, Françoise Schein

Des années que le processus est enclenché : l’argent public pour la culture se fait laborieux, pas de quoi s’étonner. Que la période actuelle nous soit d’un danger jamais encore affronté, certes. Mais où sont les bonnes résolutions affichées en 2003, après le mouvement des intermittents ? Les volontés affirmées de changer la donne, les comportements, les politiques de programmation et de soutien aux artistes ? On ne parle pas ici des volontés politiques nationales ou locales – celles-ci souvent à la traîne de l’industrie désormais, et sans vision, celle-là carrément agressive, destructrice, cynique. On parle bien des comportements institutionnels, jamais remis en cause.

On avait dit, inversons les priorités, budgets de fonctionnement insolents et parts de production artistique indigentes. On avait décidé, des artistes associés, des compagnies en résidence avec de vrais moyens mis à disposition – pas forcément de l’argent -, partout, dans les théâtres, scènes nationales, conventionnées. On avait déclaré, revenons à l’artisanal, écartons-nous des élans plébiscitaires, terrain parfait pour le privé, son industrie et son commerce. Bref, on avait juré qu’on bousculerait tout ça, qu’on inventerait de nouvelles façons, aux côtés des artistes.

Les musiciens associés à une salle ou un théâtre, aujourd’hui, je les compte sur les doigts d’une main. Les petites compagnies survivent dans l’ombre, sous les regards compatissants, par la fidélité de quelques-uns et la ténacité de leurs artistes. Les pratiques un tant soit peu en dehors des modes battent de l’aile, et on entend tous les jours (j’en atteste) l’argument négatif de la fréquentation qui n’est plus à espérer, au lieu d’un avis artistique (plus personne n’aime ces musiques, tu crois, m’a demandé F tout à l’heure : il ne parlait pas du public…).

Bernard Noël : Les années Jack Lang ont produit un phénomène que le goût du vedettariat de leur auteur n’a su ni prévoir ni compenser — à moins, et c’est probable, qu’il n’en ait été le complice. Ces années ont vu un effort sans précédent pour faire connaître l’art contemporain à travers tout le pays, mais cela dans un but où la promotion l’emportait sur la pédagogie des plaisirs de voir. Conséquence, la promotion s’est accompagnée d’une institutionnalisation corruptrice dans la mesure où elle a mis la culture au service du commerce et de l’exclusion. Ainsi a-t-on vu naître un art officiel dont la seule nouveauté est qu’au lieu de reposer comme autrefois sur l’image, il n’a guère valorisé que le “concept”.

Cet appel, la culture en danger, arrive tard, sollicitant l’accompagnement et l’énergie des créateurs dont beaucoup, dans le spectacle vivant, sont aux abois depuis longtemps. Mais enfin, on fait tourner, pour info, et pour réflexion aussi, persuadé qu’on est que tout est à reprendre, et que l’enjeu, plus encore que politique et budgétaire, est idéologique, poétique, philosophique, esthétique, sensible, amoureux, délirant, désirant.

Bernard Noël, toujours : Je n’imagine pas un rôle “idéal” de l’Etat, tout au plus un rôle de régulateur. Auquel cas (et j’espère que c’est en train d’arriver), il accepterait de reconnaître dans le lyrisme, l’Eros, la beauté, etc. les foyers d’énergie nécessaires à la vitalité du social au lieu de les gérer, toujours à retardement, en vue de leur récupération, et donc de leur étouffement.

Et on renverra à ce manifeste qui propose des pistes bien plus en rapport avec notre réalité, artistique, financière, professionnelle, structurelle, dont on retiendra par exemple les passages suivants :

• Militer pour que la politique culturelle se fonde sur la notion de citoyen, plutôt que sur celle de public et que cette politique permette une égalité de droits sur l’ensemble du territoire.

• Exiger la réorientation fondamentale des politiques publiques et des financements des divers partenaires institutionnels vers des dispositifs adaptés aux réalités des structures artistiques et culturelles d’initiative indépendante. Sans cette réorientation, les efforts localisés de réorganisation collective ou de mutualisation des coûts entre structures volontaires se révéleraient vite inopérants. Contribuer au développement des structures d’initiative indépendante et leur accorder une égalité d’écoute et de droit, c’est garantir la variété des propositions et des échanges artistiques.

• Combattre une institutionnalisation démesurée et la prédominance excessive du marché comme uniques décideurs de l’attribution des ressources dédiées à l’art et la culture. Ces deux tendances génèrent des déviances dangereuses et constituent un obstacle au développement dynamique des systèmes culturels.

• Revendiquer l’initiative privée à d’autres fins que lucratives, à travers le développement d’organisations indépendantes relevant d’un « tiers secteur », distinct tant du secteur marchand que du secteur public. Permettre ainsi l’existence d’un troisième pilier indispensable pour garantir l’équilibre du développement artistique et culturel ainsi que la juste répartition des ressources disponibles.

 

Manifeste de l’UFISC pour une autre économie de l’art et de la culture

La Castration mentale, entretien avec Bernard Noël, sur La République des Lettres.

Et sur publie.net, de Bernard Noël, “À bas l’utile”.

 

Argenteuil – 29/01/10 – L. Sclavis "Dans la nuit" – France

la langue de tous

pont_nbReçu aujourd’hui quelques questions d’un étudiant de Poitiers, à propos de son mémoire de fin d’études. Quelle différence fais-tu, me demande-t-il, entre “être improvisateur” et “improviser”  ? Question moins étrange qu’elle ne le semble, tant l’accent est mis, dans le travail que nous faisons au CFMI, sur la conduite d’un discours, et le choix de ses éléments, loin de toute technique permettant simplement de se passer de partitions (codages, consignes…). En tous cas, poser cette question est le signe d’un doute sur les formes possibles du geste improvisé, et l’intuition que la réalité est multiple.

Improviser, c’est, on s’en doute, quelque chose comme “écrire” dans l’instant, sans possibilité de retouche. Etre un improvisateur, c’est, plus précisément, travailler à construire un langage singulier (un style, une syntaxe, un vocabulaire…) qui a la particularité de se donner, de pouvoir être convoqué dans l’instant. Il y a donc une différence, pour moi, entre la simple capacité à s’affranchir de tout texte pré-établi (l’improvisation libre), ou encore  à extrapoler à partir d’un texte lacunaire (une grille d’accords, par exemple), chose qui ne s’opère que dans l’instant (même si on en a travaillé précédemment la technique : l’harmonie, les modes…), et la production d’une langue qui n’appartient qu’à soi, processus qui, lui, exprime dans l’instant un travail de longue haleine, et jamais achevé. Dans le dernier cas, il en va du musicien-improvisateur comme de l’auteur (du compositeur, du peintre…) : il s’agit de travailler sa langue, et le geste instrumental qui la porte. Recommencer, comme le dit Evan Parker, une improvisation à l’endroit où l’on a arrêté la précédente. Ce surgissement de l’instant est donc en même temps intriqué dans un temps infiniment plus long, le travail d’une vie…

Pour prolonger cette idée, cette citation de Bernard Noël :

Chaque poète crée sa langue dans la langue de tous : il travaille donc à partir d’un matériau déjà sensé dont toutes les parties ont des références précises, et ce n’est évidemment pas la nomination qu’il transforme, mais le geste verbal qu’elle contient et qu’elle active entre les bouches, comme entre les bouches et les choses, ce système de relations qu’on appelle la communication. Il faut écouter, dans le bruit aérien des mots, le froissement du geste qui les oriente ou les porte, car ce geste est tout le mouvement du sens.

Châlon en Champagne – 15/01/10 – L. Sclavis "Dans la nuit"

échos d’impro électro

Au dégel, des échos nous parvinrent à nouveau. Ce furent d’abord ceux, anciens, d’un concert à Poitiers en juin dernier. Romain Constant (du CFMI de Poitiers), terminait ainsi la première partie assurée par mes étudiants  :


Puis ceux, comme venus d’un autre monde, envoyés par François Bon.

La basse de FB sera sollicitée, en plus de sa voix, pour un nouveau projet qui prolongera la route entamée avec Tumulte et Peur. On y mêlera textes, électronique, violon, les percussions de Michele Rabbia et les photos de Philippe de Joncckeere.

On y reviendra, avec des extraits du travail en cours.

on the air : les chantiers en cours

pc310027En plus des vidéos disponibles directement sur certains articles, ou sur la chaîne Archipels chez Youtube, un nouvel outil sur le blog : un lecteur audio dans la barre latérale sur lequel on mettra, progressivement, en vrac, des enregistrements de concerts, des chantiers en cours ou des expériences d’un jour. Ou bien encore des enregistrements anciens qui ne sont plus disponibles, ou des “alternate takes”… Sorte de web radio personnelle qu’on essaiera d’alimenter régulièrement – avec des qualités de son certes aléatoires puisque souvent live et artisanales -, et qui ne dispensera pas d’aller jeter un coup d’œil aux cds Poros éditions, toujours disponibles en commande.