Reçu aujourd’hui quelques questions d’un étudiant de Poitiers, à propos de son mémoire de fin d’études. Quelle différence fais-tu, me demande-t-il, entre “être improvisateur” et “improviser” ? Question moins étrange qu’elle ne le semble, tant l’accent est mis, dans le travail que nous faisons au CFMI, sur la conduite d’un discours, et le choix de ses éléments, loin de toute technique permettant simplement de se passer de partitions (codages, consignes…). En tous cas, poser cette question est le signe d’un doute sur les formes possibles du geste improvisé, et l’intuition que la réalité est multiple.
Improviser, c’est, on s’en doute, quelque chose comme “écrire” dans l’instant, sans possibilité de retouche. Etre un improvisateur, c’est, plus précisément, travailler à construire un langage singulier (un style, une syntaxe, un vocabulaire…) qui a la particularité de se donner, de pouvoir être convoqué dans l’instant. Il y a donc une différence, pour moi, entre la simple capacité à s’affranchir de tout texte pré-établi (l’improvisation libre), ou encore à extrapoler à partir d’un texte lacunaire (une grille d’accords, par exemple), chose qui ne s’opère que dans l’instant (même si on en a travaillé précédemment la technique : l’harmonie, les modes…), et la production d’une langue qui n’appartient qu’à soi, processus qui, lui, exprime dans l’instant un travail de longue haleine, et jamais achevé. Dans le dernier cas, il en va du musicien-improvisateur comme de l’auteur (du compositeur, du peintre…) : il s’agit de travailler sa langue, et le geste instrumental qui la porte. Recommencer, comme le dit Evan Parker, une improvisation à l’endroit où l’on a arrêté la précédente. Ce surgissement de l’instant est donc en même temps intriqué dans un temps infiniment plus long, le travail d’une vie…
Pour prolonger cette idée, cette citation de Bernard Noël :
Chaque poète crée sa langue dans la langue de tous : il travaille donc à partir d’un matériau déjà sensé dont toutes les parties ont des références précises, et ce n’est évidemment pas la nomination qu’il transforme, mais le geste verbal qu’elle contient et qu’elle active entre les bouches, comme entre les bouches et les choses, ce système de relations qu’on appelle la communication. Il faut écouter, dans le bruit aérien des mots, le froissement du geste qui les oriente ou les porte, car ce geste est tout le mouvement du sens.
ce que j’allais dire en lisant le début de ton post, c’est “tiens, c’est même artisanat que poète”
et effectivement on y vient, à la fin au poète…
et oui, comme dans l’écrit — qui est peut-être toujours impro — ces constructions que l’on va mener, avec des éléments déjà travaillés (style, formes, méthodes de travail habituelles, anciennes ou non)… ou bien, faites comme de rien, comme échappées à soi, avec juste ce fond, qui est là toujours, inarrachable
et je te vois parler aussi de langue, quand nous, dans nos gribouillures, on parle si souvent de rythme, d’appuis, de souffle, de phrasé, de mélodique, de scansion, d’incantatoire…
on parlerait donc tous la même “lang” ?
et pour finir par le poète, encore : “Tant pis pour le bois qui se trouve violon”
fred
D’où vient que je cite plus souvent les poètes ?
“…à présent il n’est plus sous l’emprise magique des mots ― ils sont à sa merci, il en use. Ils sont là comme un tas de pierres ― et c’est avec eux qu’il est aux prises. Et ces mots sont à tout le monde. D’où vient donc qu’il ne pensait pas aux mots quand il lisait ? Eh bien, parce que les mots, après tout, ne sont là que pour exprimer des idées et des sentiments et que, somme toute, ils ne comptent pas par eux-même…” (Pierre Reverdy).
Mais tu tiens peut-être la réponse à la question de savoir pourquoi les musiciens sont parfois tellement attirés par les mots, au lieu de se cantonner à l’expression musicale la plus “dépouillée” : c’est que c’est peut-être la même chose…
oui, parce que c’est sans doute la même chose…