La musique, dans notre espèce humaine, propose un modèle de construction, et en construction, net, mais invisible. Un montage en l’air. Ce montage n’est pas à voir, ni même à concevoir ou à imaginer. Il est à parcourir.
L’oeuvre est un ensemble de trajets, un parcours en lignes brisées. Chaque trajet est sensible, sauts, chutes, montées, descentes jamais vagues, toujours mesurables. On évite les petites unités, la fluidité des passages. (On n’emploie pas le huitième de ton.) Perchoirs précis, préfabriqués, en nombre limité. Appréciation des trajets. Descentes et montées, ascensions infinies dans l’abstrait. (Le seul voyage intelligent : l’abstrait.)
La hauteur des sons présente les trajets verticaux – une passion d’ascensions – et le temps, qui apparaît en coulées, en mesures, ou en rythme et en vitesses différentes, présente les trajets horizontaux. Mais toujours trajets. On ne saisit pas la structure musicale sans suivre des trajets. qui vous déplace le plus constamment, qui rend sensible aux places, aux changements de place et qui les provoque dans le corps, les bras, les pieds. Le rythme à lui seul suffit pour vous faire « marcher », et danser, cependant que les timbres qui résonnent vous soumettent à un ébranlement confus né de vibrations, le son fait son œuvre de vibrations. Il remue.
Musique, art du comportement, quoique sans références au monde physique extérieur. Trajets et passages, rien de mieux pour exprimer une attitude. Une façon non d’être, de vivre, de se sentir vivre quoi de plus communicable ? Huit minutes de musique folklorique en disent plus sur un peuple inconnu que cent pages de notes et de relevés.
Ainsi vous amène-t-elle tout naturellement à une identification, et à l’illusion d’un transvasement d’être à être.
Henri Michaux, De la musique (extrait). Photos : en haut Carré Bleu, Poitiers, 26 novembre 2008, et ci-dessous Nantes, Pannonica, 20 mars 2008, loges.
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