Time geography
Du dédale conçu comme une géographie du temps… Si le premier enregistrement de ce groupe à l’organisation instrumentale rare proposait de « Nommer chaque chose à part », celui-ci met en œuvre une énergie qui reprend ces « choses », les amalgame, en isole à nouveau d’autres fragments pour créer encore d’autres assemblages. Le dédale apparaît comme un labyrinthe intérieur où chemine la musique, de combinaisons en sous-groupes, de micro-événements en tutti, guidée par les timbres, attirée par les couleurs dans des couloirs de verre où se confondent reflets et transparences. Dédale, l’architecte, avait confié à Ariane le secret du fil conducteur qui permit à Thésée d’échapper à l’enfermement d’une déambulation interminable.
Dominique Pifarély : « La musique comme lieu d’exploration de notre rapport au monde n’a de labyrinthique, éventuellement, que le chemin personnel qu’on y trace. Mais le labyrinthe, de prison est aussi devenu un jeu, et chercher son chemin, un impératif… »
Dans Time Geography, Dominique Pifarély, architecte des sons pose, en guise de fil, des balises : il en découvre d’originales, il en réemploie d’anciennes et, de détours en retours, d’avancées en percées, trace une voie qui, étrangère au rectiligne, réfractaire au circulaire, aboutit à renouveler le point de départ et non à le retrouver. Ces balises prennent musicalement la forme de motifs, d’éléments mélodico-rythmiques qui peuvent apparaître clairement comme ostinatos mais aussi s’insinuer dans les tutti. D’autant plus qu’ils se mêlent, se recouvrent, se combinent pour engendrer d’autres fragments fertiles d’où les composants originaux ne s’évanouissent pas complètement.
Cette conduite de la musique repose sur une écriture à la fois dense, exigeante (au sens où elle exige d’être respectée, ce que font magnifiquement les musiciens de Dédales), et ouverte. L’écriture installe les balises-motifs, les fait circuler et se réagencer, se disjoindre et se rejoindre ; elle ne se contente pas de les colorer, à l’aide d’une palette particulièrement riche où brillent les sombres, mais les moire en combinant les timbres, en jouant de singulières associations instrumentales. De l’écriture (géographie qui n’évoque pas le banal planisphère mais plutôt une carte en anamorphose des mémoires sentimentales) surgit une dynamique temporelle mue par la multiplication des décalages, la superposition des pulsations qu’engendrent relations et développements des motifs. Or cette dynamique ne peut se réaliser pleinement, plus même se transcender, que dans l’abolition passagère de l’écriture, dans l’élan de l’improvisation. Mais sans rupture : écriture et improvisation sont intimement nouées afin de suggérer un récit, le récit d’une itinérance vécue collectivement, d’une pérégrination exploratoire au cours de laquelle des histoires personnelles parfois bien différentes entrent en synergie (il faudrait reprendre la biographie de chacune et chacun des protagonistes — tous impressionnants — mais, par souci de brièveté, on peut se borner de contraster des parcours de premier prix de musique de chambre au Conservatoire national supérieur de musique de Paris ou d’autodidactes « tardifs ». L’écriture motivique de Dominique Pifarély est ainsi une écriture motivée (même dans les moments où elle s’efface, ou : encore plus audible dans les moments où elle s’efface) par la volonté de partager (au sein de Dédales ; de Dédales aux auditeurs), par l’espoir de donner à penser.
Dominique Pifarély : « Entendre l’effort, c’est entendre le mouvement de la pensée, c’est percevoir le déplacement physique, sensible, du discours musical et donc la possibilité de faire le chemin soi-même…Sans doute un enjeu de la musique aujourd’hui : reconquérir cette capacité à vivre la musique activement, et le partage de l’effort qui la fait naître… »
Denis-Constant Martin
Dominique Pifarély “Ensemble Dédales”, 13 janvier 2012, Argenteuil
Archives concerts :
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- Dominique Pifarély, violon et direction artistique
- Guillaume Roy, alto
- Valentin Ceccaldi, violoncelle
- Hélène Labarrière, contrebasse
- Sylvaine Hélary, flûte
- Vincent Boisseau, clarinette
- François Corneloup, saxophone baryton
- Pascal Gachet, trompette
- Christiane Bopp, trombone
- Julien Padovani, piano
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Eric Groleau, batterie.
The Labyrinth as a geography of time. To name each single thing separately was what the first recordings of this uncommonly structured instrumental group was about. This new album devotes its energy to mixing these ‘things’ together anew, selecting other fragments and createing new compositions.
The Labyrinth seems an inner one where music meanders from arrangements to subgroups, from minute events in tutti, guided by tones, mesmerized by the glimmering colours of glass corridors, where reflections and transparencies blend.
Dædalus, the architect, entrusted Ariadne to the secret of the thread that enabled Theseus to escape from a never-ending wandering.
Dominique Pifarély : “Music as an exploratory system of our relationship to the world may be intricate but for the personal marks we leave there. The Labyrinth though starting as a prison turns into a play and finding one’s way becomes an imperative.”
In Time Geography Dominique Pifarély, the architect of sounds lays down as way of thread, beacons : some he has just discovered, others he used before and from turns and steps backwards, from progress to breakthroughs, he designs a way which impervious to straight structures, unyielding to circular patterns, rephrases the starting point instead of simply getting back to it.
Musically these beacons take the form of motifs, of rhythmical melodic elements that could clearly appear as ostinatos but could also seep into the tutti. All the more so when they mix, overlap and blend together to create new fertile fragments from which the first components do not fully fade away.
The phrasing of this music rests upon a dense, demanding (i.e. it needs an exacting interpretation impeccably played by Dédales’ musicians) and open writing. Those beacons/motifs are installed, moved about into new patterns, split and linked up again. They are not only embellished with a particularly rich range of colours where dark hues prevail but given a moiré by combining pitches played with unusual instrumental combinations.
From this writing – a geography that does not evoke a trite planisphere but an anamorphic map of sentimental memories – springs a vibrant momentum driven by a multiplication of intervals, an overlapping of pulses caused by the relationship and the development of motifs. Yet this dynamic cannot fully express or even transcend itself, but in the temporary abolition of writing, in an outburst of improvisation. But no abrupt break here : writing and improvisation are intimately entwined to suggest a narrative : the collective adventure of exploratory travels when personal life stories come into synergy . For lack of space we cannot dwell on the biography of each single one of these astounding musicians but for two contrasting paths : Christiane Bopp, first prize of chamber music in 1991 and of trombone in 1992 at the Conservatoire national supérieur de musique of Paris and François Corneloup a late-achieving autodidact, revealed to himself thanks to the Uzeste ‘school’.
Dominique Pifarély’s motivic writing turns into a motivated one, even more present when it fades away, because of his constant desire of a mutual sharing between Dédales’ musicians or with the audience, in the hope of giving something to think about.
Dominique Pifarély : ” consciously listening to the effort is to follow the thinking process and the physical shifting of the musical statement, therefore becoming an active protagonist…that’s what is at stake in today’s music : recapturing the ability of living music and sharing the unremitting effort of creation…”
English translation : Marie-Ange Filippi-Charbonnel
Check out the first album by “Ensemble Dédales” :
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