performance musique & littérature
Lovecraft était-il remonté jusqu’à E.T.A. Hoffmann pour tout centrer sur le personnage d’un musicien, et ce mystère qu’est le violon, la transe qu’il sait provoquer ?
Un volet qui claque, le craquement de l’escalier la peur du vieil homme muet : le fantastique est sans accessoire, il part de la réalité la plus immédiate, et jamais il n’est aussi fort.
Dans le texte original, comme pour le Dupin de Poe, une référence à un Paris lointain : cette rue d’Auseil, le nom Blandot, ou le fait que Zann tend au narrateur un mot écrit en mauvais français ajoutent à l’énigme. Pourtant, la géographie de la ruelle est bien celle des ruelles qui, à Providence, tombent depuis la colline vers la rivière encaissée et le vieux centre.
Le violoniste de Grillparzer qui enchantait Kafka, le Gambarra de Balzac, la représentation de Don Giovanni jouxtant la chambre d’hôtel chez Hoffmann, jusqu’au Adrian Leverkühn du Doktor Faustus de Thomas Mann, lorsqu’un musicien intervient directement dans la littérature c’est d’abord la porte du fantastique qui s’ouvre – voilà le paysage que nous rejoignons avec Erich Zann.
Et puis il y a un autre mystère, qui pourrait suffire à nous faire lire ce texte de façon incantatoire, presque mystique : Lovecraft n’était guère attiré par la musique, surtout par l’apparât par lequel à Boston, concert ou opéra, elle se donne. Il exécrait le jazz, probablement pour des raisons encore moins saines. Mais, jeune, il a étudié le violon.
Et souvent, dans ses lettres, ou les témoignages qu’on a de sa conversation, lorsqu’il veut parler de la construction d’un récit, de l’effet d’hypnose que peut créer une histoire, lorsqu’il a besoin aussi de métaphores techniques, c’est au violon qu’il les prend. Alors peut-être dans ce curieux récit, face à la nuit de Providence, et dans ce mystère de la maison qu’on ne retrouve jamais, pouvons-nous aussi peut-être lire Erich Zann comme lui-même, Lovecraft, dans son art diabolique du récit, et le prix que lui, qui raconte, doit payer et que nous ne savons pas.
Sonia rapporte qu’il a dû abandonner l’instrument à cause de ses propres problèmes nerveux. Est-ce qu’ici ce ne serait pas le vrai point de départ, ce hérissement nerveux mais constamment appelant et vertigineux du jeu à l’archet ?
Bien d’autres mystères, dans ce texte admirable jusqu’à ce mort qui, à la toute fin, continue de jouer : une musique qu’on oppose à un bruit pour le tenir à distance, voilà une technique employée aujourd’hui dans certains dispositifs acoustiques les plus en pointe.
Le jeu narratif compliqué de ces papiers échangés, les notes prises et le récit de Zann se prêtent particulièrement bien au vocabulaire élaboré depuis bientôt 10 ans par les 2 artistes.
Depuis leur création Formes d’une guerre (2010), Dominique Pifarély construit son intervention sonore au violon acoustique avec électronique en temps réel, mais aussi par reprise de la voix du lecteur dans des traitements électroniques en direct.
Live video (Paris / Atelier du Plateau, 10/3/2018)
Découvrir le précédent projet de François Bon et Dominique Pifarély sur Poros éditions :
Pôle des arts urbains, Saint-Pierre des corps, 20 novembre 2015, avec en invité Hervé Thiot (grapheur)