Poitiers improvise

img_057310 ans que je me rends à Mignaloux, banlieue de Poitiers, dans une sorte de baraquement au milieu des bois, pas loin de la route de Limoges. Le Centre de Formation des Musiciens-Intervenants est pourtant sous la double tutelle ministérielle de la Culture et de l’Education Nationale, rattaché à l’UFR de sciences humaines et arts de l’université… Alors si j’y vais avec toujours autant de détermination, c’est que j’y trouve ce qui devient rare : l’espace pour parler de ce qu’est la musique, à distance des injonctions de la mode et de la marchandise, et même la possibilité de s’inscrire en contre, de lutter.

Car ce qui sera en jeu, c’est la transmission aux plus (ou moins) jeunes de ce qu’est le geste musical, pas le tout-fait, le déjà mâché, qui conduit directement à l’abreuvoir (radio, télé, Carrefour et autre Fnac), mais le geste qu’on ressent et qu’on conduit, le son qu’on pense et qui nous fait penser, pas celui qui nous pense. Façon à moi de réagir contre ce qui nous assiège (à lire absolument, si l’on veut comprendre un peu mieux les enjeux des sourdes batailles présentes, Hadopi, , distribution, diffusion, quotas et tutti quanti).

Et puis, marre de ces pratiques pédagogiques qui, bien en phase avec l’époque, visent à l’efficacité. Quelle efficacité ? Plaire aux parents en faisant chanter (mal) les plus belles inepties issues de l’industrie ? Satisfaire l’éducation nationale en confondant paysages sonores et musique ? Continuer à faire l’impasse sur le geste, humain, ressenti et pensé, qui fait de la musique mais qui s’élabore, donc qui se travaille ? Puis, plus tard, donner des recettes pour jouer telle ou telle musique (donc entériner l’étiquetage, la mise en cases), comme on cherche à sur-spécialiser les enseignements à l’université ?

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photo Louis Sclavis

Alors à Poitiers, tout comme des ateliers d’écriture (tiens, l’autre jour, croisé François Bon à la cafèt’ de la fac de lettre, lui aussi en franc-tireur des pratiques littéraires), des ateliers d’improvisation la 1ère année, puis forte insistance sur l’invention/écriture l’année suivante. Depuis 10 ans, donc, les étudiants font un concert d’improvisation, un vrai, on insiste, ils ne sont plus étudiants, mais musiciens à part entière ce jour-là, et de Bernard Prouteau (fondateur de Jazz à Poitiers/Carré Bleu) vint l’idée d’une 2ème partie assurée par mes soins (programme à renouveler chaque année…).

Le 12 juin, gros programme depuis le début de l’après-midi, à Cap Sud. D’abord, un travail des CM1 et CM2 de l’école Marcel Pagnol sous la direction de Julie Goudot, musicienne-intervenante, puis les classes d’impro du conservatoire préparées par Christiane Bopp et Thomas Dubos (avec Eric Groleau et Julien Padovani en invités), enfin le concert du soir.

Avant 1ère partie : 6 mn d’impro libre par des écoliers, puis le concert des étudiants de 1ère année. Selon Nicolas Brasart, un ancien : “assurance, niveau technique, affirmation des idées, écoute, un agencement des combinaisons d’instrumentistes que j’ai écouté comme un conte…”. Cette fois, j’ai invité Louis Sclavis à me rejoindre pour la 2ème partie (extraits bientôt en ligne ici même…). Bon, moi, je trouve que mes étudiants ont vachement bien joué, mais si je m’autorise à écrire ça, c’est qu’ils m’ont étonné, bien que je les aie écoutés pendant tant de jours. Mais c’est ça, peut-être, l’anti-efficacité en musique : un discours toujours à reprendre.

 

 

 

Merci à Etienne Le Moal (Cap Sud), Matthieu Périnaud, Greg Pyvka et Mathilde Coupeau (Jazz à Poitiers), Alexandre Benoist (C.F.M.I.), Eric Valdenaire (CRR) et Virginie Crouail (Archipels-Cie Dominique Pifarély).

intimes turbines

9 juin 2009, lecture Hendrix avec François Bon.

turbineAller-retour Grenoble dans la journée pour lecture à la pause déjeuner, chez Alstom. S’interroger sur le sens de dire, là, un texte en chantier sur Hendrix, jouer un chantier où se croisent violons (acoustique et électrique) et mandoline (électrique aussi), en pleine expérimentation, quand les gens vont retourner à leurs turbines pour barrages, façonnages titanesques de bijoux de métal ? Même pas. Silence actif, attention ininterrompue, regards serrés dans cette petite pièce où le CE propose lectures, concerts, conférences… — Alstom, des milliers de m² d’ateliers vides, cause délocalisation…

Lu dans le train un mémoire sur le prix des œuvres, et l’expérience de ce midi est comme une petite exception dans le paysage qui s’esquisse : un public curieux, qui n’exige pas un retour sur investissement. Parce qu’on vient le voir sur son lieu de travail ? Donc possibilité de lui proposer sans précaution (l’artiste propose, le public dispose — Victor Hugo : “l’auteur donne, la société accepte”) un texte, un sujet, une musique, qui tous trois lui tombent dessus sans crier gare. Un mode de partage encore viable, ou trop romantique ?

En tous cas, ce texte sur la valeur des œuvres fait réfléchir, au moment où tous nous nous interrogeons sur le bousculement qu’induit le virage internet, et comment investir l’outil, fondre de nouvelles armes. On en reparlera sûrement (“La généralisation d’un prix uniforme des œuvres”, Camille Dorignon, master 2 Droit de la propriété littéraire, artistique et industrielle).

Reste ce plaisir d’agir en même temps sur ces deux fronts : le paysage internet, et l’intimité partagée de cette petite salle.