le son que nous cherchons

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Cette annonce publicitaire dégoutante, depuis quelques jours sur France Inter : l’Education nationale annonce 17000 embauches, pourquoi pas vous ? Mais c’est aussi 16000 postes d’enseignants que l’éducation nationale supprime , on n’en fait pas la publicité.

Et ce jeune homme qui pour échapper à un boulot de pion, passe le concours, fait 2 mois de formation et se retrouve maître d’école. Instituteur. Professeur des écoles. Enfin, c’est lui qui s’occupera de vos enfants à l’école de la république, quoi. On déteste ce que le service public est devenu, ou est en train de devenir. Comme on hait les naufrageurs.

Alors, toujours ces moments touchants, où les étudiants du C.F.M.I. se jettent dans la musique, eux qui vont aller dans les écoles, justement, dans les écoles de musique aussi, ou vers les associations de pratiques amateur. Ce sont 2 années de formation, pas 2 mois. 1500 heures, et une vie de musicien en parallèle. Qu’en savent-ils, finalement, ceux, concentrés sur l’évolution de leur carrière institutionnelle, universitaire, politique, dans les centres de pouvoir dont la société française offre une large variété, qui ne vont plus jamais au spectacle ?

Reste donc ces moments, ou plus rien ne compte que la vérité du geste qui porte leurs désirs de musique, à ces étudiants. Ci-dessous des extraits (17′ de vidéo) de leurs travaux de composition (première fois de leur vie, pour presque tous, qu’ils inventent leur musique), captés en public — et devant jury. Les compositions (étudiants de 2ème année) sont de Alain Josué (batterie, percussions), Lou Delebecque (violon), Mylène Cave (hautbois), Bastien Clochard (violon), Quentin Lambert (flûte), Anaëlle Blanc (violon), Elodie Wachowsky (flûte), Hugo Bernier (guitare), et Damien Gorodja est à la basse. Les improvisations (étudiants de 1ère année), environ 18′ d’extraits saisis lors d’un filage avant le concert du 14 juin, sont de Vincent Djamali (piano), Nelly Mousset (contrebasse et voix), Camille Belliard (steel drum), Laurence Vernay (clarinette), Perrine Vrignault (accordéon diatonique), Maryline Romeu (accordéon chromatique), Marie Charpentier (trompette), Véronique Vrignault (flûte), Maxime Dancre (batterie), Julia Demauge Bost (violon), Gabriel Oyarzu (charango) et Jean Paul Naaoutchoué (basse).

Merci à Etienne Le Moal (Cap Sud), Matthieu Périnaud, Mathilde Coupeau et Miké (Jazz à Poitiers), Alexandre Benoist, Nelly Boizet et Madely Gransagne  (C.F.M.I.), Virginie Crouail (Archipels-Cie Dominique Pifarély).

Et pour ce plaisir à les voir advenir comme musiciens, ce texte de François Bon, que je leur dédicace, comme à ceux qui restent quand l’invention, l’audace sont assiégées.

“Un son fait de blocs, d’aspérités, de mouvances. Il est sombre, il est âpre. Le son que je cherche va par nappes, gronde en vous-même selon des lignes fortes que la basse même ne saurait engendrer, des mondes lourds en suspens qui résonnent outre grave, appellent des percussions amples, invisibles : le son que je cherche est fait de ces grains qui s’assemblent et se désassemblent et sont l’architecture noire de nos espaces du dedans. Le son que je cherche est une corde nerveuse, les accords sont nets et frappés, et leur enchaînement va comme en se jouant, tel qu’on rêverait qu’au poignet on l’arrache. Le son que je cherche est une déflagration : on l’ébauche d’un geste de la main, elle enfle et grogne dans le crâne, s’y perd après explosion lente. Le son que je cherche est l’idée d’une danse tournoyante et brève, d’une peau tendue qu’on excite du bâton, de l’os, de la paume ou du marteau sur le bronze. Le son que je cherche ce sont ces couleurs à fresque et pans obscurs de briques et géométries de lumières dans les bâtiments neufs qu’on aperçoit au-dessus d’un trou édenté de la ville, avec parking, bar louche, graffiti et silhouettes errantes pauvres et pressées, et tant pis pour l’étalement continu des gris. Le son que je cherche est cette articulation de la voix qu’on a dans les rêves, quand tout de la phrase est clair, c’est la phrase qui va comme on tombe et flotte aussi très lente comme dans les rêves on vole, c’est une musique de rien entendue au hasard dans les galeries commerçantes, musiques faites pour l’euphorie et la netteté des instruments rien qu’un exercice d’avant abîme. Le son que je cherche est ce grondement qu’on sent dans le corps quand tout tremble. Le son que je cherche est cette douleur sous le front quand même voir n’est plus qu’en rêve. Le son que je cherche c’est ce qu’on rêve de chanter quand on marche seul dans grand espace de vent, qu’il soit près d’un fleuve, d’une mer, sur une crête ou en pleine ville. Le son que je cherche grouille comme un monde, il est ces passages souterrains et quand on ferme les yeux c’est mille pas dont aucun n’est ensemble et les voix des bribes qui ne s’assemblent pas. Le son que je cherche c’est la maîtrise d’un violon, et jouer n’importe quel air qui vous passe à cet instant dans la tête : c’est une architecture, un dessin abstrait, une couleur liquide ce qu’ils entendent les musiciens dans leur tête et à quoi l’instrument donne sa phrase sans qu’avant de l’entendre on en sache le récit et les mots. Le son que je cherche est cette voix chuchotée mais prenante, cette voix qui n’a plus de timbre et alors on entend chaque syllabe, cette folie concaténée de vocables qui disent la ville et ce sont autant d’images éclatées qu’on vous livre, les aspérités de toute surface et le vent fou qui s’enfile dans une rue sans air. Le son que je cherche est le souvenir d’un livre perdu et le silence où on était pour lire et le chant de toutes phrases lues quand elles sont belles. Le son que je cherche c’est ta voix quand on est loin, le son que je cherche est une audace : quand on débutait, que rien n’était exprès, que tout vibrait ou sonnait comme un verre vide, et nous-mêmes contre les murs de nos chambres si peu de poids et tant de rêves – et ce qu’il faut mettre en chantier, de vertige et de poisons, d’incertitude et de câbles tendus par dessus le vide, et que la parole même elle s’effondre. Le son que je cherche c’est marcher à l’intérieur de soi-même, c’est le rictus du musicien qui s’avance jusqu’au bord où on tombe. Le son que je cherche est dans l’abandon des voies sûres, des formes prédictibles, des objets qu’on soupèse. Il est ce masque qu’on s’arrache, et qu’une vie à peine décolle.”

François Bon, Formes d’une guerre

2 comments

  1. Il est de ces cheminements et compagnonnages qui révèlent tous le sens de l’acte artistique dans sa dimension à la fois humaine et sociale, de partage et de don, d’écoute et de reconnaissance, d’invention, avec exigence et pertinence, tellement loin de ce que peut rencontrer la plupart des citoyens dans leur environnement éducatif et social, mais tellement proche de l’âme humaine et du sens de la vie.
    Merci à Dominique pour son engagement artistico-politico-éducatif

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