bémols

Une armure contre l’industrie

Armure : nom féminin, réunion en tête de la portée, après la clef et avant le chiffre de mesure, des accidents qui expriment les altérations constitutives du ton du morceau. Les signes ainsi placés ont une action permanente, qui subsiste, sauf les altérations accidentelles, jusqu’à un changement d’armure. Elle est composée soit exclusivement de dièses, soit exclusivement de bémols.

nous sommes tous des bémolsOn revient (voir articles précédents, ici et ici) sur le Centre national de la musique, c’est non seulement urgent, essentiel, mais indispensable face à ce qui s’annonce, encore une fois, comme une belle entreprise de communication (lire : désinformation), après lecture de Culture Box, comme de Libération et d’autres… Il est facile, en effet, de maintenir aujourd’hui la confusion entre les intérêts de l’industrie du disque, dont on nous rebat les oreilles, notamment en s’appuyant sur l’Hadopi, et la question de la création et de la diffusion de la musique vivante. L’appel des 333, qui a réuni 2777 signatures, est relayé à présent par un nouveau texte contre le CNM, qu’on reproduit en bas de page, ainsi que par l’ouverture d’un blog.

Essai de clarification.

L’accord cadre créant le Centre National de la Musique signé en janvier par le gouvernement Fillon, promettait un organisme public chagé de soutenir la création sur le modèle du Centre national du Cinéma (CNC).

Le cinéma fonctionne sur un “modèle économique” sans rapport avec la musique, aussi bien sur le plan des sommes engagées, que sur celui de la “chaîne” production-fabrication-distribution. En ce sens, on s’accorde à parler d’industrie, l’artisanat (production n’engageant que très peu de monde et de moyens) étant assez rare. En outre, ce modèle s’appuie sur la production d’un objet, physique ou dématérialisé, destiné à la vente. La première manifestation de la musique, historiquement comme dans l’esprit des musiciens, se trouve être la prestation en public, qui n’a donc pas grand-chose à voir avec le modèle du cinéma.

A l’inverse, l’immense majorité des musiciens (compositeurs, interprètes, ensembles et groupes), dans tous les domaines, se trouve être organisée en tout petits modules — individus ou groupes isolés ou constitués en petites associations. L’organisation de type “industrielle” — boites de production, majors, labels indépendants ayant suffisamment de moyens pour produire de A à Z, tourneurs) ne concerne qu’un nombre limité d’acteurs, essentiellement dans le domaine de la chanson.

Sa mission devait être, selon les mots de Frédéric Mitterrand, de fédérer une filière “historiquement morcelée” et de “défendre les intérêts communs” de ses différentes composantes en France comme à l’étranger.

Rien ne permet de constituer le monde de la musique en “filière”, la continuité n’étant pas établie, ni parfois souhaitée entre la scène et le “disque”. D’autre part, la multiplicité des pratiques, des usages, des publics et donc des économies particulières donnent à la musique enregistrée de toutes aussi multiples fonctions. Dans certains cas, il s’agira de vendre le maximum de disques, physiques ou dématérialisés ; dans d’autres cas, l’enregistrement sera destiné à un public relativement restreint, ce qui ne laissera pas espérer une quelconque rentabilité ; enfin, le CD ou le téléchargement, parfois gratuits, viendront en complément de ce qui reste le premier objet et (de loin) la première source de revenus du musicien : la scène. Ce monde n’est donc pas “historiquement morcelé” , mais simplement multiple, avec des intérêts complémentaires, mais pas nécessairement communs.

Il est donc non seulement important, mais encore vital de comprendre l’inadéquation de ce projet à la réalité que vivent les acteurs de la musique, quelles que soient les déclarations sur “la création et la diversité” — surtout quand on lit chez la ministre, en deux phrases : “Je souhaite aujourd’hui mettre sur pied une véritable politique de soutien au secteur musical, pour notamment encourager la diversité de la création et de la diffusion. Les industries musicales ont subi de plein fouet la révolution numérique, donc l’Etat doit se préoccuper de l’avenir de la musique et l’aider à se conforter avec des outils et des modes de financement qui sont adaptés et pérennes.” , ce qui mélange des objectifs et des besoins différents, voire divergents.

Je me souviens d’une intervention de François Hollande il y a quelques années à Avignon, dans une rencontre sur le spectacle vivant, passant avec brio en une demi-phrase du théâtre à l’industrie audio-visuelle, sans doute plus facile à appréhender d’un point de vue comptable.

DP

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NOUS SOMMES TOUS DES BÉMOLS

Le quotidien d’information Libération publiait le 28 juin dernier un article intitulé « Le CNM, fauché et en pleine gloire ». On pouvait y lire la phrase suivante : « L’ensemble des acteurs de la musique, mis à part quelques bémols, est à fond pour le CNM. » (1)

Une telle phrase choque lorsqu’elle ignore un ensemble conséquent (et non des moindres) de structures représentatives ayant refusé de signer l’accord-cadre du 28 février 2012 servant de base à la création le 4 avril 2012 de l’Association de préfiguration du centre national de la musique composée de hauts fonctionnaires. Lorsqu’elle ignore également la pétition lancée par l’Appel des 333 (2), appel spontané et non encadré recueillant rapidement quelques 2777 signatures (très forte majorité de musiciens et musiciennes) lorsqu’une récente pétition en faveur du CNM (proposé par quatre fédérations et relayé par le quotidien Le Monde) en a recueilli 79 (3).

La précipitation volontariste avec laquelle Nicolas Sarkozy a lancé le Centre National de la Musique est relayée sans le moindre esprit critique aujourd’hui par les médias proches du nouveau pouvoir. On devrait s’en étonner.

Le CNM vient compléter la page éloquente du néant de la période culturelle récente : échec du Conseil de la création artistique, débuts insignifiants du Pôle Cinéma du Grand Paris, renflouement outrancier d’un très gros label « indépendant » par la Caisse des dépôts et consignations etc. (4).

La volonté de financer principalement le CNM par une taxe prise au Centre National du Cinéma, exercice de passe-passe plutôt illégal, montre d’emblée le côté aberrant de ce projet qui unit par ailleurs les problèmes de la musique à ceux de la duplication de la musique. L’organisme supposé être une manne est déjà en panne de financement avant d’avoir vu le jour. Il a suffi que la ministre de la culture, fraîchement nommée, fasse part, lors du festival de Cannes, de ses réserves, puis récemment que le directeur de la Sacem (réticences modulées paraît-il par un Sms) fasse de même ou encore qu’ un communiqué sorti tout droit d’un alambic de l’Adami sème le trouble, pour qu’immédiatement les fervents défenseurs du CNM, tels les Majors ou le Snep, montent au créneau. Une partie de la presse, rétive à laisser s’exprimer les bémols opposants au CNM, s’est empressée de publier une tribune libre (5) d’un cartel d’organisations, supposées représentatives des labels « indépendants » (6) dans ce qu’il est désormais convenu, dans les milieux politiques et financiers, d’appeler « la Filière musicale », pour la défense du CNM, seule façon de sauver la production « indépendante ». Nombreuses sont, une fois encore, les organisations indépendantes et représentatives non consultées. On comprend mal cette obstination de réaliser le projet Sarkozy et de le considérer comme unique « sauveur » de la musique !

Depuis quand les tenants de l’industrie fonctionnent-ils avec le même mètre-étalon que les plus petits artisans ? Nous l’avions dit lors d’un précédent appel faisant suite au rapport Riester-Chamfort-Colling-Thonon-Selles (7), le CNM fondé sur une conception étriquée de la musique, principalement liée au profit direct est source de graves problèmes. L’erreur initiale considérant la musique comme une « filière industrielle » en créant une norme de filière pour toutes les pratiques musicales et réduisant les aides diverses en un guichet unique n’est pas la moindre.

Si l’on veut renouveler les politiques publiques en faveur de la musique, il faut d’abord partir de la pratique artistique et ses diverses implications (duplication, création et diffusion ne sauraient être réduites en un). La différence plus que la diversité. Seuls les artistes peuvent nous permettre d’en comprendre l’importance. Les promoteurs du CNM ont terriblement minoré la parole des artistes. Les syndicats ont été tardivement consultés, les principaux ont d’ailleurs refusé le protocole d’accord. Mais quelque soit l’importance de la parole syndicale, nous avons besoin que les paroles portant les pratiques de tous soient entendues.

La musique ne saurait être considéré comme une simple marchandise qu’il suffit de réguler. À ce titre, nous appelons les acteurs de la production musicale et tous les bémols solidaires à se rassembler pour en finir avec le CNM qui a déjà prouvé sa totale inconvenance, et élaborer des propositions collectives en faveur de la musique.

Le blog «  CNM – contre nous musiciens » est ouvert pour que chacun s’exprime.

(1) Sarah Bosquet, Libération du 28 juin 2012

(2) « Non au Centre National de la musique » sur Pétition Publique : http://www.petitionpublique.fr/PeticaoVer.aspx?pi=P2012N19710

(3) « La musique indépendante survivra-t-elle au temps politique ? » in Pétition en ligne

http://www.petitionenligne.fr/petition/tribune-la-musique-independante-survivra-t-elle-au-temps-politique/2619

(4) « Naïve, label musical très subventionné et pas très cool » par loïce Perron, Rue 89 – 18 mai 2012

(5) « La musique indépendante survivra-t-elle au temps politique ? » Le Monde du 13 juin 2012

(6) Ces fédérations comportent des membres hostiles au CNM

(7) « Rapport sur la création musicale et diversité à l’ère numérique »

 


 

 

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