l'improvisation, poubelle de la musique

p6270002L’improvisation musicale est sans doute devenue excessivement irrévérencieuse, elle aussi, pour la radio de service public. C’est — presque — une bonne nouvelle. La mauvaise, la voici : à la rentrée, l’émission d’Anne Montaron “ A l’improviste” se verra réduite à la portion congrue. Et les captations de concerts publics à Radio France, essentiels, passent  de 20 à 6 (l’émission — et ses concerts/captations — était pourtant devenue un diffuseur, voire un prescripteur incontournable de ces musiques). Des arguments invoqués, on retiendra par exemple celui d’une “scène musicale trop étroite”. Et on rappellera que, bien au-delà du jazz, ce qui est à considérer comme un mode de production, d’invention de la musique, parmi d’autres, est présent dans bon nombre de musiques traditionnelles, intégré depuis les années 60 à certaines œuvres contemporaines, et réinvesti aujourd’hui par des interprètes de musique ancienne. L’intérêt pour la pratique de l’improvisation se mesure également dans les conservatoires, où une nouvelle génération de professeurs d’instrument nous demande de plus en plus d’intervenir, en regard et en complément de leur propre pratique. On rappellera également que le CNSMP, dont Marc-Olivier Dupin fut le directeur, compte pas moins de 3 classes d’improvisation en plus des classes de jazz…

Voici l’annonce de la dernière d'”A l’improviste”, reçue jeudi 25 juin :

A l’Improviste, dernière !

par Anne Montaron, avec Béatrice Trichet et Dorothée Goll

A la rentrée 2010, « A l’Improviste » vole en éclats ; réduite de moitié mais hebdomadaire , l’émission proprement dite refermera « les Lundis de la Contemporaine » d’Arnaud Merlin (23h30)

6 concerts seulement seront produits par Radio France dans nos studios au lieu des 20 actuels

La matière première de l’émission sera constituée par les concerts enregistrés hors les murs (Festivals et autres…)

En bonus …deux autres espaces de diffusion ponctuels : deux ou trois « Nuits » et quelques concerts de 20h !

Une lettre de demande de concertation conçue parun collectif de musiciens a été envoyée à la direction, mais n’a pas reçu de réponse favorable.

Un grand merci pour toutes vos signatures et votre soutien !

Bien à vous

Anne

Et on reproduit la lettre adressée au directeur de France Musique (merci à Benoit Delbecq et Mirtha Pozzi pour la rédaction et la circulation de ce texte), puis la réponse de la direction de France Musique, dans laquelle on pointera une erreur : M.O. Dupin n’a pas rendu cette émission hebdomadaire, elle l’était déjà. A part ça, on est convaincu que supprimer une émission, raccourcir le temps d’antenne, réduire le nombre de concerts publics, c’est bien entendu soutenir ardemment une expression musicale essentielle… Derrière cette décision, comment ne pas voir l’affichage (enfin possible, en ces temps décomplexés) du mépris de la direction pour la pratique (pourtant difficile) de l’improvisation, et des expressions musicales non-consensuelles. Mais c’est sans doute bien là l’objectif, sur l’ensemble des antennes de Radio France : faire consensus.

A Monsieur Marc-Olivier Dupin – Directeur de France Musique

« Le free, une poubelle du jazz ? Une très belle poubelle, alors. » György Ligeti à Jazz Magazine, février 2008.

Paris, le 18 Juin 2010.

Cher Monsieur le Directeur, cher confrère,

C’est avec une immense tristesse et une non moins grande interrogation que nous apprenons la disparition programmée de la production et retransmission de concerts de musiques improvisées proposées dans « A l’improviste » par Anne Montaron, productrice dont la passion et le talent à transmettre cet art brillent sur les ondes hertziennes et numériques de France Musique.

Nous sommes nombreux à penser que ce rendez-vous de concert public et radiophonique honore  France Musique et participe à l’ influence de la chaîne sur la scène musicale nationale et internationale.

Ce rendez-vous de musique vivante symbolise pour nous ce que la magie radiophonique sait procurer à ses auditeurs curieux de sensations musicales inédites, savantes mais aussi ludiques et esthétiquement exigeantes. C’est l’idée d’une radio convoquant l’inédit et l’ouverture d’esprit, comme en un délicat écho aux heureux moments de radio du Club d’Essai de Jean Tardieu, et tant d’autres heures d’un éclairant rayonnement éditorial au sens large, qui est aujourd’hui menacée par votre décision.  Ce sont aussi les archives de demain qui se voient menacées de ne plus témoigner d’une veine créative et souvent indocile d’une partie de la musique jouée et appréciée aujourd’hui de par le monde dans des centaines de lieux et festivals internationaux tels ceux de Vancouver, Vandœuvre, en passant par San Francisco, Tampere ou encore Yokohama.

Car depuis que l’émission « A l’improviste » est proposée en écoute sur le site de France Musique, et alors qu’aujourd’hui le podcast permet d’écouter avec bonheur les émissions passées et ce à l’échelle planétaire, la magie du direct se retrouve prolongée en l’écoute différée rendue enfin possible. Dès lors il nous est d’autant plus aisé d’inviter nos connaissances, nos collègues et amis de par le monde, à découvrir telle ou telle formation dans le jeu du concert, tel ou tel portrait d’improvisateur –  le « direct » restant bien sûr le vecteur d’une émotion toute particulière parce qu’unique et profondément humaine.

Souvent remise en question par une certaine élite pour le moins sceptique alors même que l’improvisation est de fait impliquée elle aussi dans le processus décisionnel de l’écriture,  la pratique de la musique improvisée permet pourtant souvent de faire entendre les beautés de l’intuition fugitive : d’inédites formes sensibles, de nouveaux possibles de jeux instrumentaux, de nouveaux modes de jeux collectifs, lesquels sont vous le savez suivis voire recyclés par nombre de compositeurs d’aujourd’hui. Ce va-et-vient vivifiant entre improvisation et écriture est un engrais sensoriel, esthétique et intellectuel de la plus haute importance. Nous priver de l’émission « A l’improviste » reviendrait à couper ce fil invisible liant des êtres avides d’émois musicaux, ce qui revient à cesser de restituer sur les ondes tout un pan de la vie musicale d’aujourd’hui.

Vous le devinerez, nombre d’entre nous doivent leur vocation créatrice à ce que la radio de service public a su produire et diffuser en ses murs et en extérieur. Puisse la jeune génération d’auditeurs  garder  cette ouverture d’esprit et devenir les inventifs compositeurs et improvisateurs que nous écouterons demain avec passion.

Nous tenons tant à cette émission que aimerions venir vous en parler, à quelques-uns, le plus tôt possible, venir vous témoigner de cette impossibilité viscérale à faire le deuil de cette émission que nous chérissons. Nous vous invitons à nous répondre en ce sens, et vous en remercions à l’avance.

Dans l’attente de vous rencontrer, avec nos sincères salutations,

Des improvisateurs et compositeurs réunis.

****

Chère Madame, Cher Monsieur,

J‘ai pris connaissance de votre mail avec la plus grande attention et vous confirme que notre décision est prise d’arrêter l’émission à l’improviste dans sa formule actuelle. Après dix ans d’existence, il ne nous a pas semblé anormal de faire évoluer cette émission.

Pour autant, je tiens à préciser que l’improvisation conservera toute sa place dans les programmes de France musique à la rentrée. Nous avons même souhaité intégrer le rendez-vous d’Anne Montaron dans la grande soirée “les lundis de la Contemporaine”, ce qui devrait lui assurer davantage de visibilité et une meilleure exposition, tout en sélectionnant le meilleur de l’improvisation. L’improvisation, comme c’est le cas actuellement, trouvera également sa place dans certaines émissions de jazz, ou d’autres consacrées aux musiques actuelles.

Nous continuerons bien évidemment à enregistrer des concerts de musique improvisée, aussi bien à Paris qu’en région, dans les festivals, qui pourront également être diffusés dans des tranches concerts ou dans des nuits spéciales consacrées à l’improvisation.

Enfin, permettez-moi de rappeler que Marc-Olivier Dupin, directeur du CNSMDP dans les années 90, a été le premier à ce poste à créer un diplôme de formation supérieure d’improvisation, et qu’une de ses premières décisions, à la tête de France Musique, a été de transformer dès la rentrée 2008 ce rendez-vous bimensuel en rendez-vous hebdomadaire.

Espérant vous avoir rassuré sur nos intentions et sur la place de l’improvisation sur notre chaîne, je vous prie de croire à l’assurance de nos sentiments les meilleurs.

Olivier Morel-Maroger
Directeur délégué de France Musique
chargé de la production et du développement

Pour écouter ou visionner les émissions et concerts, 2 liens :

Le site d'”A l’improviste”.

Les vidéos de l’émission sur Dailymotion.

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