freedom now suite (suite)

insurrectionJe déballe ma bibliothèque : chiche ! Mais on y retrouve des choses que je partage, j’espère, avec le plus grand nombre. Les plus anciennes lectures, autres que purement littéraires, m’emportaient, alors lycéen, vers des horizons d’émancipation qui épousaient de nombreux détours, dont celui de l’insurrection.

Alors, soit le texte suivant :

La France n’est pas la patrie des anxiolytiques, le paradis des antidépresseurs, la Mecque de la névrose sans être simultanément le champion européen de la productivité horaire. La maladie, la fatigue, la dépression, peuvent être prise comme les symptômes individuels de ce dont il faut guérir. Elles travaillent alors au maintien de l’ordre existant, à mon ajustement docile à des normes débiles, à la modernisation de mes béquilles. Elles recouvrent la sélection en moi des penchants opportuns, conformes, productifs, et de ceux dont il va falloir faire gentiment le deuil. “Il faut savoir changer, tu sais.” Mais, prises comme faits, mes défaillances peuvent aussi amener au démantèlement de l’hypothèse du Moi. Elles deviennent alors actes de résistance dans la guerre en cours. Elles deviennent rébellion et centre d’énergie contre tout ce qui conspire à nous normaliser, à nous amputer. Le Moi n’est pas ce qui chez nous est en crise, mais la forme que l’on cherche à nous imprimer. On veut faire de nous des Moi bien délimités, bien séparés, classables et recensables par qualités, bref : contrôlables, quand nous sommes créatures parmi les créatures, singularités parmi nos semblables, chair vivante tissant la chair du monde. Contrairement à ce que l’on nous répète depuis l’enfance, l’intelligence, ce n’est pas de savoir s’adapter – ou si c’est une intelligence, c’est celle des esclaves. Notre inadaptation, notre fatigue ne sont des problèmes que du point de vue de ce qui veut nous soumettre. Elles indiquent plutôt un point de départ, un point de jonction pour des complicités inédites. Elles font voir un paysage autrement plus délabré, mais infiniment plus partageable que toutes les fantasmagories que cette société entretient sur son compte.
Nous ne sommes pas déprimés, nous sommes en grève. Pour qui refuse de se gérer, la “dépression” n’est pas un état, mais un passage, un au revoir, un pas de côté vers une désaffiliation politique. A partir de là, il n’y a pas de conciliation autre que médicamenteuse, et policière. C’est bien pour cela que cette société ne craint pas d’imposer la Ritaline à ses enfants trop vivants, tresse à tout va des longes de dépendances pharmaceutiques et prétend détecter dès trois ans les “troubles du comportement”. Parce que c’est l’hypothèse du Moi qui partout se fissure.

L’insurrection qui vient, La Fabrique édition, p 17-18.

Je signe ce texte, moi aussi, au nom de ce “comité invisible” qui en est l’auteur, comme on peut également signer cette pétition de la maison des écrivains, je déballe ma bibliothèque. Et suivre l’initiative de François Bon : choisir deux pages de l’insurrection qui vient, les copier sur son blog, son site, et s’en déclarer l’auteur.

Blanqui, Benjamin, mais aussi bien Bakounine, Marx, Proudhon, Stirner, et tant d’autres, bien sûr que nous les avons, dans nos bibliothèques. Julien Coupat est toujours en détention, le principal grief qu’on lui fait semblant rester la possession de ce livre. A l’époque de son arrestation, on était déjà quelques-uns, non ?

insurr_couvEt pour les autres, le commander

Poros éditions, des CDs désormais Allumés

pc280031Poros éditions fait désormais partie des Allumés du jazz, association libre de labels indépendants : vente en ligne, stand itinérant sur les festivals, outil d’information sur la production (réellement) indépendante en France, site, blog, web radio et journal papier.

En plus de la vente sur pifarely.net, sur cdBaby, et sur les concerts, voici donc une plate-forme supplémentaire.
Pour les poitevins, on signale aussi la présence de Poros éditions aux “Mondes du disque” (20, rue Henri Pétonnet à Poitiers), disquaire inébranlable, qui explique aux plus jeunes pourquoi un disque, c’est important, comment ça s’inscrit dans un cheminement de musicien, que c’est une œuvre avant d’être un objet de commerce, et que la crise du disque, la Fnac et la loi Hadopi font tranquillement sourire.
En attendant les prochaines parutions (on y travaille), on essaie d’avancer, et de trouver des compagnons de route.

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indiscipline

Pour le journal des Allumés du jazz, à paraître le 1er mai, Jean Rochard pose à quelques-uns la question suivante, banale, difficile et quotidienne : “jusqu’où l’engagement du musicien peut-il aller ?”

Question quotidienne, donc on a envie d’accéder à cette demande. Mais question rebattue, débattue mille fois, alors on hésite. La réponse est sans doute en chacun d’entre nous, valable pour lui seul, et au moment où il la formule. Je mets tout de même en ligne la mienne, prétexte à lui donner suite avec celles, virtuelles, de Daniel Baremboim et Jacques Dupin.

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C’est plutôt d’une limite basse qu’il faudrait parler.

Soit, par exemple : une pratique de son métier avec une sorte de “common decency”, sans doute. S’attacher à évacuer tous les oripeaux, toutes les stratégies, habitudes et définitions organisées par le spectacle, ainsi que les transpositions hâtives venues du monde tel qu’il semble se construire, et se méfier de la langue des maîtres. Ne pas céder ici sur ce qui nous engage ailleurs.

Et comment parler de l’engagement sans penser la nature de celui-ci, ou son socle ?

Mais aussi : “[…] occuper seul le terrain de l’angoisse. Le terrain de sa propre langue où tout est à faire.” (Charles Pennequin).

Soit : parvenir à faire une musique qu’on ne peut ni abandonner, ni asservir. Une musique qui nous engage.

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Daniel Baremboim : “La musique n’est pas séparée du monde ; elle peut nous aider à oublier et à comprendre simultanément. Dans un dialogue parlé entre deux individus, l’un attend que l’autre ait fini ce qu’il a à dire avant de répondre ou de commenter. En musique, deux voix dialoguent simultanément, chacune s’exprimant pleinement en écoutant l’autre. D’où la possibilité d’apprendre non seulement la musique, mais de la musique. (…) La leçon la plus difficile pour l’homme, en fin de compte – apprendre à vivre à la fois avec discipline et avec passion, avec liberté et avec ordre – se dégage à l’évidence de toute phrase musicale.”

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Jacques Dupin : “Si j’ai écrit que la poésie était absente, c’était d’abord un constat. Je pense qu’elle se situe, quel que soit le monde, dans la contestation, dans le contre-pouvoir, dans la négation de l’horreur qui se perpétue. Elle est, par son absence, sa blancheur, sa barre de fer chauffée à blanc, le seul horizon qui se pose radicalement contre : l’oppression, les massacres, le viol, la magouille, l’exclusion, le racisme, le trafic d’armes et d’organes, la prostitution des enfants, le génocide, etc… le catalogue est ouvert, est béant…”